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Loi Fauchon : ni coupables, ni responsablesUne loi garantit l’impunité des dirigeants français
Source : Les 4 vérités
Les sénateurs ont la tête dure. Ils ont surtout des troupes auxquelles il leur faut rendre compte : ce sont les élus locaux, qui sont aussi leurs électeurs. Depuis des mois, les maires, entre autres, réclament une modification du code pénal concernant les délits non intentionnels : l’objectif est d’établir une différence entre les responsables directs et indirects d’un accident ou d’un dommage. Du côté des responsables directs, médecins qui préparent mal une opération, enseignants qui ne surveillent pas un élève, chauffeur qui renverse un cycliste ; du côté des responsables indirects, l’hôpital qui a laissé ce médecin assurer une garde trop longue, la mairie qui avait mal entretenu un établissement scolaire ou qui avait laissé une chaussée en mauvais état. A l’initiative du sénateur centriste Pierre Fauchon, une proposition de loi a été adoptée au palais du Luxembourg puis à l’Assemblée, dans de curieuses conditions. Au dernier moment, le RPR, pourtant très demandeur, s’était abstenu, craignant les critiques des associations de victimes. Cette volte-face avait conduit le gouvernement à supprimer ce texte de l’ordre du jour du Sénat, en seconde lecture, et à entamer une véritable concertation avec les associations. Mais, contre l’avis du gouvernement, les sénateurs ont décidé de reprogrammer l’examen de cette loi pour le 15 juin. Peu sensible aux contradictions, le groupe PS au Sénat a soutenu cette inscription. Les seuls à s’y opposer sont les communistes, qui s’étaient déjà abstenus en première lecture. Hier en commission des lois, le communiste Robert Bret a signifié de nouveau son hostilité à l’examen, le 15 juin, du texte. « Il n’est pas opportun de légiférer dans la précipitation. Nous avons été alertés sur les risques de cette modification du code pénal. Il est légitime qu’une vraie évaluation soit faite - ce que demandent les associations - des effets de ce nouveau texte », dit-on chez les élus du PCF. Une position très isolée, alors que ce texte chamboule la responsabilité pénale pour les délits involontaires. « On ne peut pas tout démolir pour quelques maires » Deux présidents d’associations de victimes dénoncent la proposition de loi. Par ARMELLE THORAVAL Edmond-Luc Henry est président de l’Association française des hémophiles (A. F. H.), Michel Parigot gère le comité antiamiante du Jussieu. Avec quatre autres présidents d’association, ils ont participé au premier groupe de travail organisé mardi par le ministère de la Justice. Au total, douze associations ont groupé leurs forces contre le proposition de loi. Que pensez-vous de la position du Sénat ? Edmond-Luc Henry. La ministre de la Justice semblait décidée à écouter nos critiques et à discuter. Mais le Sénat fait un coup de force et il met un terme à cette concertation. On ne peut pas analyser sérieusement les effets de cette modification des délits non intentionnels en huit jours. Les sénateurs manifestent donc une volonté délibérée d’empêcher que l’on puisse discuter de ce texte. Michel Parigot. C’est clairement une proposition de loi qui a peur de la lumière. Les associations de victimes n’ont jamais été consultées, et nous représentons 10 000 morts par an, tandis que le Sénat cite le cas de 14 maires mis en examen et condamnés en cinq ans, des élus qui n’ont jamais fait un seul jour de prison. Quand nous avons demandé à être reçus, après le passage du texte à l’Assemblée, les sénateurs nous ont répondu qu’ils « n’avaient pas le temps ». Mardi, Pierre Fauchon était présent. Nous lui avons renouvelé cette demande. Il nous a dit texto : « Vous n’y pensez pas. On a plein de choses à faire. » Cette réponse montre bien que leur seul problème est d’atténuer la responsabilité des élus. La représentation nationale est là pour assurer la défense de l’intérêt général, or, en l’espèce, elle défend son intérêt personnel. Comme si les petits commerçants mécontents du fisc obtenaient une modification globale du régime des impôts. Sur le fond, quel est le problème de ce texte ? M. P. Il a été proposé sur la base d’un fantasme collectif, celui d’une pénalisation excessive de la société pour les délits involontaires. Prenons l’exemple de l’amiante : il y a 2 000 morts par an, et seulement quelques plaintes, qui ne sont même pas instruites. E.-L. H. La proposition de loi impose, pour que les responsables indirects soient poursuivis, une faute d’une gravité exceptionnelle ou un manquement à la loi et au règlement, c’est-à-dire aux décrets. Cela va permettre de créer une hiérarchie pénale dans les responsabilités. Bien souvent, il y a les auteurs directs d’une violence involontaire. Et les auteurs indirects qui ont permis qu’une catastrophe prenne une grande ampleur, parce qu’ils n’ont pas pris les textes ou les circulaires nécessaires. Le risque, c’est que la justice ne s’applique qu’aux lampistes. En réalité, c’est une affaire totalement politique, je ne vois pas où est l’urgence. M. P. Ce que nous demandons, c’est que l’on prenne les exemples existants et que l’on simule l’application du nouveau texte sur les informations judiciaires en cours, que l’on y réfléchisse. Il est possible qu’il y ait des excès et qu’il faille y travailler. Mais pas de cette manière. Dans le cas de l’amiante, les responsables sont toujours indirects ou presque. Quelques députés ont suggéré d’améliorer la procédure civile pour remplacer la procédure pénale. Qu’en pensez-vous ? E.-L. H. Aujourd’hui, la voie pénale est la seule qui permette de rechercher les causes et les responsabilités dans un accident collectif. Au civil, les victimes doivent payer elles-mêmes les expertises, il n’y a pas d’instruction des dossiers. M. P. Cette réforme est hors d’atteinte. Au civil, il est possible de demander une indemnisation. Aller au pénal, c’est demander que les responsabilités soient établies, pour que cela ne recommence pas, favoriser la prévention. C’est aussi enclencher une culture de la sécurité, qui n’existe pas dans certains secteurs, comme dans l’enseignement supérieur. On ne peut pas tout démolir pour le confort de quelques maires. source : LIBERATION Une loi garantit l’impunité des dirigeants français Alain Foucart dimanche 13 février 2005 NI COUPABLES,NI RESPONSABLES... En arrivant au tribunal correctionnel de Bonneville (Haute Savoie) le 31 janvier dernier, Rémy Chardon, président de la société des Autoroutes et Tunnel du Mont Blanc (ATMB), mis en examen après l’incendie du 24 mars 1999 qui coûta la vie à 39 personnes, avait l’air serein. Il semblait même avoir retrouvé son habituel air faraud... Non pas que ses très hautes relations politiques puissent l’assurer de quelque impunité. Son maître, Jacques Chirac, dans la circonstance, ne peut plus grand-chose pour lui. Mais il sait, mieux que personne, qu’il bénéficiera de la « loi Fauchon », votée discrètement par le Parlement le 10 juillet 2000 qui pose le principe de l’irresponsabilité civile des dirigeants des sociétés. Sauf quand on peut leur reprocher une responsabilité « directe ». D’ailleurs, on aura noté que M. Chardon ne plaidait absolument pas sur le terrain de l’irresponsabilité, mais seulement sur le caractère indirect de celle-ci. Il a dit n’avoir jamais été alerté de manière « explicite » sur une défaillance des moyens de sécurité dans le tunnel. Sauf imprévu - toujours possible en matière judiciaire mais, alors, une procédure d’appel serait certainement engagée -, le président de l’ATMB, à l’issue du procès devrait donc s’en tirer par... une relaxe. Pourtant, on a en mémoire des antécédents fameux où des chefs d’entreprise, par exemple, furent condamnés à des peines sévères à la suite d’un accident du travail. Mais c’était avant la « loi Fauchon »... Cette loi, du point de vue de la responsabilité civile des dirigeants, a complètement changé la donne. En distinguant les auteurs « directs » d’un accident et les auteurs « indirects », la loi Fauchon a abouti à une quasi impunité de l’ensemble des dirigeants. Une loi d’ancien régime. C’est l’histoire de cette loi et l’examen de ses conséquences que nous raconte Guillaume Perrault, journaliste, responsable de la rubrique judiciaire au « Figaro » dans un ouvrage intitulé « Ni coupables, ni responsables ». Au départ, il s’agissait de protéger les élus locaux, dont la responsabilité pouvait être engagée pour des faits qui, souvent, pouvaient paraître éloignés d’une véritable implication personnelle : un panneau de basket tombant sur un enfant, une branche d’arbre blessant un passant... À la fin des années quatre-vingt-dix, une véritable psychose semblait s’être emparée des élus locaux, orchestrée par la puissante Association des Maires de France (AMF) et relayée par de nombreux médias. Pourtant, il s’agissait bel et bien d’une campagne, basée sur une réalité très exagérée. Qu’on en juge : de 1995 à 1999, seuls quatorze maires sur 36 000 avaient été condamnés pour homicide involontaire, et encore, les sanctions avaient-elles été légères puisqu’aucun maire n’avait été emprisonné, seulement condamné à une amende ou à une peine de prison avec sursis. Néanmoins, les élus locaux réclamaient une loi d’immunité. Le Sénat est en première ligne et c’est le sénateur Fauchon, avocat de formation, qui se charge de présenter un texte. Comme il n’est pas possible, sans scandale, de réserver cette immunité aux seuls élus, on l’étend tout simplement à l’ensemble des dirigeants, dans tous les domaines. Guillaume Perrault nous raconte dans le détail les dessous de l’adoption de cette « loi Fauchon ». Car, si elle fut adoptée à l’unanimité - et on sait que les lois votées à l’unanimité sont souvent des textes suspects -, quelques hommes politiques furent scandalisés par cette impunité. Élisabeth Guigou, alors Garde des Sceaux, n’y était pas favorable. Mais elle s’y résolut, préparant son passage au ministère des Affaires sociales. Le Premier ministre Lionel Jospin n’y est pas favorable non plus, mais il n’est plus au moment des faits, en situation de s’opposer à la loi qui fait l’unanimité à droite et, à gauche, rassemble aussi bien Laurent Fabius que Robert Badinter. La démission, le 2 novembre 1999, de Dominique Strauss-Khan, alors ministre des Finances et mis en cause dans l’affaire de la MNEF, fait le reste : l’ensemble de la classe politique prend peur. Huit mois plus tard, l’immunité quasi-totale des élus sera mise en place. Élargie à l’ensemble des dirigeants des entreprises, elle aboutit, selon l’auteur, à une impunité de fait des élites...
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