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RÉSEAU SOCIAL SOLIDAIRE

Le Prisonnier, série allégorique.

Source :JCCabanel.free.fr
- Par Myriam Guinot et Batiste Marcel.(1997)
- Bibliolib.net

L’histoire

Pour une raison inconnue, un agent, interprété par Patrick McGoohan, démissionne des services secrets britanniques. De retour dans son appartement, à Londres, alors qu’il fait sa valise, un jet de gaz à travers la serrure le plonge dans l’inconscience. A son réveil il se retrouve dans un ravissant petit village au style architectural bigarré et à l’ambiance de villégiature.

Il s’aperçoit rapidement qu’il est dans un endroit des plus étranges ; il est impossible de passer des appels téléphoniques vers l’extérieur, les taxis n’assurent que la desserte locale, les cartes de l’endroit ne portent aucune indication géographique... Un personnage étrange, le Numéro 2, semble commander le Village et lui dira bientôt que son maître, le mystérieux N°1, veut connaître les raisons de sa démission, qu’il restera ici le temps qu’il faudra, et qu’il est le "N°6". Mais le Prisonnier n’est pas un numéro, il est un Homme Libre !

Ce petit village fleuri et bariolé aurait tout d’un coin de paradis si ses habitants n’étaient pas des numéros dont les moindres faits et gestes sont épiés par des caméras de surveillance. Refusant toute intégration, toute soumission, le N°6 n’aura de cesse de chercher à s’échapper, luttant pour cela contre une communauté étouffante et entièrement sous la coupe du tout puissant et omniprésent pouvoir des dirigeants du Village.

Si l’on applique aujourd’hui le terme d’œuvre d’art à des productions télévisuelles, c’est sans conteste grâce à la série The Prisoner. Artiste de génie, à la fois comédien, réalisateur, scénariste et producteur, Patrick McGoohan, arrive à faire parler la télévision et faire réfléchir le public. En effet, sa série ouvre à chaque nouvel épisode un vaste champ de réflexion. Comme toute véritable oeuvre d’art, cette série n’a pas vieilli et garde toute sa profondeur et tout son actualité.


Origines

Début d’année 1966, lassé de son rôle dans DangerMan, Patrick McGoohan, star absolue du petit écran britannique, profite de son statut de vedette pour tenter la folle entreprise de The Prisoner. George Markstein, qui avait déjà travaillé sur la première série, imagine une histoire d’espionnage, celle d’un agent secret démissionnaire que l’on kidnappe afin de lui faire avouer les raisons de sa démission. McGoohan, enthousiasmé par ce projet, accepte d’en être le héros à condition d’en être aussi le producteur, ce qui lui donne un contrôle quasi total de la série. Bien plus qu’un nouveau rôle, The Prisoner est pour l’acteur l’occasion rêvée d’exprimer ses idées sur la liberté, la société, l’individualisme... McGoohan prend donc le tournage en mains et transforme l’histoire d’espionnage de Markstein en une véritable œuvre philosophique. En effet, chacun des 17 épisodes que compte la série traite un sujet bien particulier tel que la liberté, la mort, les dangers de la science...

Comme le but recherché par Patrick McGoohan est de faire réfléchir le téléspectateur sur ce qu’il voit, l’acteur fait en sorte de donner à son oeuvre un côté mystérieux. Pour cela, il imagine des gimmicks tous aussi surprenants les uns que les autres, comme le Grand Bi, vélo archaïque emblème du Village, ou le Rover, cette boule blanche qui étouffe, au propre comme au figuré, toute tentative d’évasion. Et comme l’approximatif n’a pas de place dans une telle oeuvre, chacun de ces éléments cache derrière son apparence "non-sensique" une réelle valeur symbolique qu’il convient à chacun d’interpréter à sa guise. C’est ce qui fait de The Prisoner, malgré ses 30 ans d’existence, une série toujours aussi fascinante. Incomprise en 1968 car jugée trop déroutante, elle a enfin trouvé un public qui se sent plus que jamais concerné par la lutte d’un individu face à une société ; qui l’opprime et qui le traite en simple numéro.

La reconnaissance de l’individu

Un des thèmes clés de ce chef-d’œuvre, c’est la reconnaissance de l’individu en tant que tel et non pas en tant qu’élément reproductible et remplaçable de la communauté. Le N°6, c’est soi-même, le Village, c’est la société, une société oppressante digne du 1984 de George Orwell ou du Fahrenheit 451 de Ray Bradbury. L’Individu, surveillé, manipulé, est gavé de culture bon marché (The General), engagé dans la farce politique de la démagogie (Free for All),abreuvé de guimauve populaire telles la joie et les loisirs forcés (Danse of the Dead,c’est carnaval, mais on n’a pas le choix du déguisement...). L’individu (ou plutôt le "mouton") est contraint au conformisme : contraint de sourire en même temps que les autres, d’écouter les niaiseries de la radio qu’il est impossible d’éteindre ("Good morning all, it’s another beautiful day..."), d’applaudir et rire au signal convenu (comme dans les sitcom TV). Le Village a donc un régime totalitaire ? Non, et c’est là toute l’horreur.

Tout comme les habitants de Brave New World (Le Meilleur des mondes) ou, dans une moindre mesure, les ouvriers de Metropolis, chacun est soumis, chacun est heureux de vivre dans cette joie artificielle, mécanique, aseptisée, où la vie ne se valorise plus par ses tourments et ses joies, puisque la lutte est annihilée et que le bonheur est forcé, chacun étant fondu dans une masse homogène, chacun n’étant plus qu’un numéro... Même le chef du Village, le N°2, ne semble être qu’un fantoche devant son supérieur, le N°1, qui reste invisible. Le N°2, d’ailleurs, n’est pas le même d’un épisode à l’autre, car ce n’est pas lui, l’ennemi. L’ennemi ce n’est pas un homme, c’est la société elle même : l’Administration, la technocratie, la paperasserie, comme dirait Harry Tuttle dans Brazil. Le N°6 va se rebeller, et le clamera violemment : "I will not be pushed, filed, stamped, indexed, briefed, debriefed or numbered. My life is my own..." Outre celui de partir, dès le premier épisode, il réclamera le droit de s’isoler, de s’exprimer, surtout d’avoir un comportement personnel et d’être un individualiste.

L’arrivée

Le premier épisode (Arriva ) nous présente le monde fantastique du Village et ses habitants, ainsi que le personnage du Prisonnier, qui évoquera sur bien des points le John Drake de Danger Man. Lorsque le premier épisode fut diffusé, le 29 septembre 1967 sur ATV Midlands, on croyait à une simple série d’espionnage. Pourtant, au fil des épisodes, le N°6 n’arrivait pas à s’évader, et ce n’est que vers le troisième ou quatrième épisode que l’on comprend que le thème de la série, l’éternelle lutte vers la liberté, implique que ce n’est qu’au dernier épisode que le héros doit s’échapper. Possible... Quoi qu’il en soit le premier épisode campe parfaitement tous les protagonistes : le Prisonnier rebelle et opiniâtre, la grosse boule blanche du Rover, les N°2 sadiques et serviles, le superviseur, le maître d’hôtel et surtout... le Village. Celui-ci est omnipotent et contrôle tout depuis les souterrains par caméra, microphones, ordinateurs... Le N°6 en fera l’amère expérience, et se retrouvera à la case départ pour avoir sous-estimé les capacités de manipulation des dirigeants du Village. La grille qui se referme sur son visage à la fin de l’épisode fait froid dans le dos.

Une grande communauté mondiale

Sur le Village, la V.O. restitue justement toute une thématique de la série que le doublage avait volontairement effacé, le côté international du Village, le côté "grande communauté mondiale" et sa connotation utopique. Dans Arrival, lorsque le N°6 interpelle le taxi, le chauffeur, une asiatique, lui répond en français, et lui explique par la suite que le Village est un creuset de cultures internationales, où se mêlent de multiples langues. Par la suite, le N°6 entre dans la boutique du Village et surprend une conversation dans une langue inconnue (espéranto, catalan...on ne le saura pas), à la fin de l’épisode, c’est avec un laconique Auf Wiedersehen que l’employé du N°2 quitte le Village. De même, à plusieurs moments d’autres épisodes, on trouvera un étranger ou une réplique en langue étrangère, sans explications ! Pas d’explication non plus sur les raisons pour lesquelles les traducteurs ont gommé ces répliques, les remplaçant par des silences ou des dialogues inventés...

La V.O. éclaire donc la série d’idées nouvelles. Le N°6 se demandera longtemps quel côté gouverne le Village, si ce sont ses chefs, ou le camp adverse. Personnellement, il me semble que ce ne sont ni les uns ni les autres, et en même temps les deux. Les deux camps veulent savoir pourquoi il a démissionné (Do Not Forsake Me Oh My Darling),et d’ailleurs l’histoire elle même est inspirée d’un fait réel révélé par George Markstein, sur des maisons de repos où étaient mis au vert (lire "au secret") les agents retraités.

On trouve dans ce Village des Allemands, des Russes, des Anglais, des Français... Tous sont là pour des raisons différentes. Les chefs du Village semblent en bons termes avec les anciens chefs duNo6 (The Chimes of Big-Ben), et semblent bénéficier de complicités même en Grande-Bretagne (Many Happy Returns). Les paroles du N°2 dans The Chimes of Big-Ben :"The whole earth as the Village"sont sans équivoque. Le Village n’est pas l’émanation du KGB ni du MI6, mais d’une convergence d’intérêt entre l’Est et l’Ouest. A la fois laboratoire d’expérimentation en vue d’une société nouvelle et centre de mise au pas d’éléments récalcitrants. Il n’y a donc pas d’échappatoire, que l’on s’enfuie en Autriche (Do Not Forsake Me Oh My Darling), en Albanie (The Chimes of Big-Ben)ou à Londres (Many Happy Returns),on reste sous le contrôle du Village, les dernières images de Fall Out,dernier épisode, ne sont pas sans étayer cette thèse.

Dualité No1/No6

Un artiste, c’est une personne qui perçoit les choses différemment, plus intensément que nous et qui ressent le besoin d’exprimer ces sensations. Patrick McGoohan n’échappe pas à la règle. En tant qu’artiste il a aussi envie de proclamer tout haut des idées qui lui sont propres. Le domaine qui l’intéresse par-dessus tout, c’est l’Homme. Rien de plus normal puisque l’acteur est aussi philosophe ! En tant que tel, il est donc ouvert au monde qui l’entoure, montrant un vif intérêt pour les problèmes de la société et son devenir. Le jugement qu’il porte à ce sujet, il le met en image sous forme d’allégorie. Mais avant tout, le philosophe est à l’écoute de l’être humain, et par conséquent de lui même. Attentif aux différentes passions qui l’animent, McGoohan se sent tiraillé par deux sentiments antagonistes ; le Bien et le Mal. Selon lui, ces deux forces subsisteraient en chacun de nous et chaque individu lutterait sans cesse contre la partie "maléfique" de son être.

Il est intéressant de constater que cette théorie de l’homme qui combat sa mauvaise nature appartient au domaine religieux. Patrick McGoohan aurait-il trouvé son inspiration dans la Bible ? C’est fort probable quand on sait qu’il reçut une éducation catholique rigoureuse au point de vouloir devenir prêtre ! Quelle que soit son origine, cette conception du Mal et du Bien témoigne de la complexité de la personnalité de l’acteur : "Nous sommes tous prisonniers de nous-mêmes et des besoins que nous avons de manger, dormir... pour vivre." Ces propos laissent penser que McGoohan souffre de sa situation de "détenu à vie". Le combat qui l’oppose à son propre N°1 serait-il plus important qu’il n’y paraît ? "Nous avons chacun notre propre Village", ajoute-t-il.

D’après un philosophe (irlandais qui plus et), "l’écriture est une tentative de mettre de l’ordre dans un brouillon." En mettant en scène son "théâtre intérieur", McGoohan aurait donc tenté d’y voir plus clair ? The Prisoner aurait été pour lui une manière de conjurer le mal qui l’habitait : une sorte de psychanalyse en fait. Ceci dit, ce chef d’oeuvre garde une grande part de mystère et c’est ce qui le rend encore plus fascinant.

*****

Comment ne pas penser à Proudhon ? :

"(...) Être gouverné, c’est être gardé à vue, inspecté, espionné, dirigé, légiféré, réglementé, parqué, endoctriné, prêché, contrôlé, estimé, apprécié, censuré, commandé, par des êtres qui n’ont ni le titre, ni la science, ni la vertu.

Être gouverné, c’est être, à chaque opération, à chaque transaction, à chaque mouvement, noté, enregistré, recensé, tarifé, timbré, toisé, cotisé, patenté, licencié, autorisé, apostillé, admonesté, empêché, réformé, redressé, corrigé. C’est, sous prétexte d’utilité publique, et au nom de l’intérêt général, être mis à contribution, exercé, rançonné, exploité, monopolisé, concussionné, pressuré, mystifié, volé ; puis, à la moindre résistance, au premier mot de plainte, réprimé, amendé, vilipendé, taxé, traqué, houspillé, assommé, désarmé, garrotté, emprisonné, fusillé, mitrailler, jugé, condamné, déporté, sacrifié, vendu, trahi, et pour comble, joué, berné, outragé, déshonoré. Voilà le gouvernement, voilà sa justice, voilà sa morale !"

Proudhon, in Idée générale de la Révolution au XIXe siècle, 1851.

Myriam Guinot et Batiste Marcel

Quelques liens sur le sujet :

Les épisodes du Prisonnier

  • Episode 1 : L’arrivée.
  • Episode 2 : Le carillon de Big Ben.
  • Episode 3 : A, B et C.

  • Episode 4 : Liberté pour tous.
  • Episode 5 : Double personnalité.
  • Episode 6 : Le Général.
  • Episode 7 : Le retour.
  • Episode 8 : Danse de mort.
  • Episode 9 : Echec et mat.
  • Episode 10 : Le marteau et l’enclume.
  • Episode 11 : L’enterrement.
  • Episode 12 : J’ai changé d’avis

  • Episode 13 : L’impossible pardon.
  • Episode 14 : Musique douce.
  • Episode 15 : La mort en marche.
  • Episode 16 : Il était une fois.
  • Episode 17 : Le dénouement.


Le prisonnier


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