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Sarkozy mode d’emploiSource : Regards.fr / Novembre 2004 Par Rémi Douat Craint, adulé, inquiétant, trouble, populiste et populaire. Une ascension construite par le verbe et par l’acte. 54 % des Français veulent lui voir jouer un rôle important. Président ? Sarkozy occupe le terrain et impose son programme ultralibéral. Décryptage En 1995, après une trahison retentissante et mal encaissée, Jacques Chirac préconisait de se servir de Nicolas Sarkozy « comme paillasson ». Bosseur et omniprésent, tacticien et fin connaisseur de tambouille politique, le paria est, dix ans plus tard, le poids lourd de la vie politique française. 54 % des Français veulent lui « voir jouer un rôle important au cours des mois et années à venir ». Jacques Chirac entend barrer la route de l’étoile montante, notamment en le nommant ministre de l’Economie, fonction explosive où il est difficile de briller. Puis lui a imposé de choisir entre le gouvernement et la tête de l’UMP. La guerre est ouverte et cela paraît bien lui convenir, lui qui n’a pas de meilleur moteur que la revanche. Dans son camp, Sarkozy est craint et adulé. Tour à tour interventionniste et libéral, permissif et autoritaire, il égare, soulevant par exemple les foudres des plus libéraux. A gauche, il inquiète. Des voix tomberont dans son escarcelle. Il sème le trouble, prend à contre-pied... pour ne servir qu’un camp, le sien. Quelle est la recette d’une telle popularité ? D’abord, il use et abuse de la communication et d’aucuns assurent qu’il est « bon », même si certains observateurs qui le connaissent de près pondèrent le jugement. « Il a un talent de communication mais j’ai du mal à me l’expliquer, avance Anita Hausser, responsable du service politique de LCI. Il ne se renouvelle absolument pas et ses ficelles sont énormes. » L’expression est simple, on sait que l’homme n’aime pas les intellectuels et le leur fait savoir : « A vouloir expliquer l’inexplicable, on excuse l’inexcusable. » Une petite phrase, même dénuée de sens, fait l’effet brutal d’une formule frappée au coin du bon sens. Etre dans l’acte et non seulement dans le verbe, voilà son leitmotiv. Il s’exprime avec humour, ce qui conquiert l’assistance et affiche du mépris pour les intellos, ce qui le rapproche de cette « France d’en bas » chère à Raffarin. Ainsi pour parler du traitement par les socialistes de la « violence urbaine », il raconte dans un meeting que, quand les bus sont caillassés, les socialistes se réunissent avec des sociologues pour se demander « pourquoi les bus ? ». Mimiques, postures et gestuelles ponctuent son discours. On passe du rictus carnassier au sourire de gendre idéal. Les mains, quant à elles, possèdent une large palette d’expressions. Elles délimitent et tracent des espaces. Puis tranchent fermement. Bon père de famille « S’il est aussi apprécié dans notre pays, outre ses résultats en matière de lutte contre la délinquance, c’est plus sur sa méthode que sur le fond de ce qu’il propose, pose en préalable Stéphane Rozès, directeur de CSA et maître de conférences à Science Po Paris. Il a une grande capacité à repérer et dire ses problèmes puis à appliquer son choix dans les alternatives possibles. La plupart de ses collègues, de gauche et de droite, ont tendance à mettre en avant la contrainte et le peu de marge de manœuvre dont ils disposent. » Le principe, c’est de toujours laisser penser qu’une alternative est possible, quitte à briser certains tabous. La police souffre d’un manque de reconnaissance ? Alors ministre de l’Intérieur, il décide d’instaurer les « primes de résultats exceptionnels » dans la police nationale. Ceux qui pensent que les fonctionnaires doivent avancer à la récompense applaudissent. Aujourd’hui, alors que s’applique la première prime, le cafouillage est total et la levée de boucliers unanime dans les syndicats de policiers. Seulement, les caméras ont disparues, l’effet d’annonce s’est ajouté au crédit de Sarkozy et il ne sera a priori jamais débiteur du couac. Peu importe si son diagnostic a été trop rapide et l’alternative proposée en toc... Il a pu montrer qu’il savait trancher, c’est bien suffisant. Même principe envers le justiciable. La politique de criminalisation de la pauvreté doublée de petits arrangements avec les chiffres de la délinquance ont pu occulter à court terme les effets dévastateurs qu’ils ne manqueront pas d’avoir à long terme. Parfois, même quand les dégâts sont immédiatement perceptibles, c’est encore sa détermination qui émerge. Les prostitué-e-s ont été repoussés dans les bois, les bordels informels ou les réseaux internet... Bref, vers l’invisible, aggravant leurs conditions de vie. Même principe pour le camp de réfugiés de Sangatte. Super-Sarko, devant les caméras et à bord d’un hélicoptère, a pris le problème à bras le corps. Aujourd’hui, loin des médias, ces candidats à l’immigration errent dans les rues de Calais. Idem à Bercy, où, dans son intention de gérer le pays en « bon père de famille », il annonce l’éventualité de vendre une partie du stock d’or de la Banque de France ! C’est simple, concret et photogénique. Et coupe court à tout débat. « Cette posture correspond à une attente des Français, poursuit Stéphane Rozès. Le fondement de la crise du politique, au-delà du clivage gauche/droite, réside dans la perception des dirigeants, ressentis comme esquivant le souhaitable au nom du possible. Ainsi leur action apparaît uniquement comme une gestion, niant à leurs yeux la politique, la citoyenneté et même le vote. »
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