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L’option démocrate Italienne et ses conséquences : un avertissement pour le PSSource : Nouveau PS / janvier 2008
Ségolène Royal l’a affirmé à plusieurs reprises : un accord électoral ou organique avec le MoDem - une formation de centre droit - est aujourd’hui envisageable pour le Parti socialiste. Dans l’entre-deux tours de l’élection présidentielle, Mme Royal n’avait pas exclu de nommer François Bayrou au poste de premier ministre, en cas de victoire contre Nicolas Sarkozy. La représentante du PS avait, dans l’entre-deux tours, rencontré l’ex-ministre du gouvernement Balladur. A l’occasion d’un débat fort civil, les observateurs avaient pu constater qu’il existait de très importantes convergences entre les deux candidats sur l’Europe, la mondialisation ou les institutions. Sévèrement battue au deuxième tour et en dépit du médiocre report des voix bayrouistes sur sa personne, Ségolène Royal a continué de défendre l’idée d’un rapprochement entre le PS et le MoDem. Elle a même prédit que « des choses allaient se passer » entre les deux partis à l’occasion des prochaines élections municipales. Eprouverait- elle quelque nostalgie pour les manoeuvres d’appareil de la 4è République ; période pendant laquelle la SFIO a souvent co-géré le pays aux côtés des démocrates-chretiens ? Ou alors, souhaiterait-elle rejouer la partition de l’ouverture rocardienne des années 1988-91, qui se solda par la débâcle électorale de 1993 ? Ou encore tenterait-elle de s’inspirer de la gauche italienne ? Cette dernière hypothèse paraît plausible car Ségolène Royal suit depuis quelque temps avec intérêt l’ouverture au centre pratiquée par les Démocrates de gauche (DS), le pendant italien du PS. Cap à droiteEn 1978, Enrico Berlinguer, le dirigeant du PCI, proposa un « compromis historique » aux démocrateschrétiens. Il s’agissait de s’opposer aux tentatives de déstabilisation fomentés par des groupuscules d’extrême droite et de réagir à l’assassinat d’Aldo Moro par les Brigades rouges. Récemment, les DS ont ressorti le projet de la naphtaline : en octobre 2007, les « socialistes » de DS et la nébuleuse démocrate-chrétienne et libérale de la Marguerite ont fondé un parti unique qui s’appelle - comme son modèle étatsunien - le Parti démocrate (PD). Ce parti n’est ni socialiste, ni de gauche. Cette alliance du centre, organique, va toutefois se dérouler dans des conditions très différentes pour la gauche de ce qui aurait pu advenir dans les années 70. Aux élections de 1976, le PCI (dont sont issus les DS) venait de recueillir 34,4% des voix, alors qu’avant la création du PD, les DS ne parvenaient plus à rassembler que 15% sur leur nom. Que s’est-il passé entretemps ? Un recentrage ideologique, politique et, aujourd’hui, partisan des DS. Ces derniers ont volontairement tourné le dos à la culture égalitaire et solidaire de la gauche post-communiste depuis le début des années 90. Cette stratégie idéologiquement motivé a produit des effets désastreux dans la gauche italienne. Lorsque le PCI s’est transformé en Parti démocratique de la gauche (PDS) en 1991, la majorité des ex-communistes refusa la voie socialdémocrate sociale et radicale. Le PDS privilégia un recentrage politique autour de sujets « sociétaux », au détriment d’engagements pour la justice sociale et de la poursuite d’une relation critique avec le capitalisme. Le cap à droite coûta au parti une première scission et la création du Parti de la refondation communiste (PRC), un parti en réalité postcommuniste, ouvert aux thématiques « post-matéralialistes » (féminisme, environnement, égalité sexuelle, etc.), mais resté fidèle aux idéaux égalitaires de la gauche. Cette ligne de gauche a été récompensée par les électeurs italiens. Depuis 1991, le PRC peut compter sur un score plancher de 6 à 8 % des voix. Lors des élections législatives de 2006, les Italiens ont élu 41 députés du PRC. Le PDS - renommé DS - a continué obstinément dans la voie du recentrage et a perdu, à chaque élection, de nouvelles voix. L’hémorragie électorale ne fut qu’articiellement ralentie à partir de 1996 avec la création de l’Olivier, un cartel électoral. L’Olivier regroupe les DS (la principale force partisane), des ex-membres de la Démocratie chrétienne (DC), qui avait implosé à la suite des enquêtes de Mani pulite, d’ex-Verts « cohn-bendistes » (Marco Rutelli, l’ex-maire de Rome), des libéraux de gauche et des Républicains. Ce regroupement électoral hétéroclite permet à l’Olivier d’atteindre péniblement les 30% des voix. L’ex-Parti socialiste de Bettino Craxi (PSI), lui aussi emporté par Mani Pulite, qui obtenait encore plus de 15% des voix à la fin des années 80, n’est pas réapparu comme force partisane crédible. Les voix socialistes en déshérence se sont réparties à gauche, au centre et dans la droite berlusconienne. D’ex-cadres socialistes ont connu le même parcours indigne que les Besson, Bockel, Amara et Kouchner. Les cadres des DS ont droitisé le climat politique, ce qui a dérouté et découragé les électeurs de gauche. Le déclin culturel de la gauche a entraîné un déclin électoral marqué. La droitisation des DS a largement profité à Silvio Berlusconi, la plus grosse fortune du pays, qui fut élu à deux reprises président du Conseil. Une telle dérive à l’américaine ne se serait jamais produite si la gauche socialiste s’était un tant soit peu comportée comme une force de gauche. D’anciens cadres communistes ont activement contribué à discréditer les idées et les politiques de gauche (Massimo d’Alema, ex-président du Conseil, Piero Fassino, le dernier leader des DS et Walter Veltroni, admirateur de Bill Clinton et leader du nouveau parti centriste). Un parti centristeLe battage médiatique autour du blairisme et de son (introuvable) Troisième voie a été une aubaine pour les DS. A partir de 1997, ils purent revendiquer une « modernité de gauche », en se référant en positif au néolibéralisme autoritaire du premier ministre britannique. Cette nouvelle offensive idéologique au sein des DS permit de faire taire définitivement la gauche socialiste. Il ne subsista dans les DS qu’un courant de gauche très minoritaire, sans pouvoir et sans aucune influence sur la direction. Des observateurs de la vie politique italienne considèrent que la création du PD va provoquer un ultime exode de militants et de cadres sociaux-démocrates, qui refuseront de militer dans une formation composée de néolibéraux et de militants cléricaux. Un vent de panique souffle d’ailleurs en ce moment au sein du PD : et si la création de cette formation post-socialiste ne parvenait toujours pas à enrayer le déclin électoral continu qu’ont connu les DS depuis 15 ans ? Si cette hypothèse se vérifiait, que resterait-il à faire ? S’allier avec Berlusconi ? Comment expliquer un tel aveuglement dans la poursuite d’une stratégie aussi néfaste pour la gauche italienne ? D’abord, une erreur d’appréciation historique : les ex-communistes italiens ont cru, à tort, que la chute du l’Union soviétique avait discrédité les valeurs de gauche traditionnelles (solidarité et justice sociale, égalitarisme). Au début des années 90, les idéologues du Consensus de Washington répétaient que la modernité politique se mesurait à l’aune de la flexibilité économique et des privatisations. Ensuite, une autre erreur sur le plan de la sociologie électorale : les DS ont pensé que la droitisation de leur discours et de leurs politiques permettraient d’attirer des électeurs centristes tout en retenant tout ou partie de leurs supporteurs de gauche. Ils se sont trompés dans les deux cas. Les DS ont perdu nombre de leurs soutiens traditionnels qui ont rejoint le PRC, d’autres formations de gauche ou qui se sont réfugiés dans l’abstention. Inversement, la greffe avec les éléments chrétiens et néolibéraux de la Marguerite n’a jamais pris. Les militants, issus de deux traditions très différentes, co-existent difficilement au sein de l’Olivier. Il est à craindre qu’une cohabitation organique au sein du PD soit encore plus difficile à gérer. Dans un entretien récent (Le Monde 22 mai 2007), Piero Fassino estimait que le PD sera un parti du « centre » qui prendra acte de la disparition du « vieux schéma tripolaire, droite, centre, gauche ». Selon le leader des DS, la compétition politique se serait ressérée autour de deux grands blocs centristes (comme les républicains et les démocrates aux Etats-Unis), qui sont d’accord sur tout ou presque et qui se battent pour faire pencher en leur faveur les 2 ou 3% de l’électorat centriste flottant. Cette lecture post-idéologique et post-partisane est en complet porte-à-faux avec le vote de classe et la forte mobilisation anti-Sarkozy lors du premier tour de l’élection présidentielle. Notons aussi que le positionnement « apaisé » de la gauche italienne a crédibilisé et légitimé Silvio Berlusconi, aujourd’hui considéré par les DS comme un homme politique comme les autres. Les cultures politiques au sein de la gauche française et italienne étant assez proches (grille de lecture sociale en terme de classes, laïcité, égalitarisme profond, méfiance instinctive vis-à-vis du capitalisme, etc.), le cas italien est donc riche en enseignements pour le PS. A partir du cas italien, il est aisé d’imaginer ce qui se produirait en France si Ségolène Royal était en mesure d’imposer une alliance avec le MoDem. Il faudrait donc demander à Mme Royal quelles sont les raisons qui la poussent à privilégier une stratégie vouée à un échec cinglant. En attendant sa réponse, la voilà prévenue : son ouverture au centre serait désastreuse pour la gauche, tout simplement car elle empêcherait la mise en oeuvre de politiques de gauche.
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