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RÉSEAU SOCIAL SOLIDAIRE

Le nouveau modèle Scandinave

Source : L’Express
- Par Julie Joly

le 25/10/2004

Hier, ils étaient dans les cordes, englués dans un système public sclérosé. Aujourd’hui, Norvège, Danemark, Suède et Finlande sont en tête des pays les plus agréables à vivre, tout en affichant une santé économique insolente. Conjuguer compétitivité et haut niveau de protection sociale : la formule magique fait des envieux


Il y a moins d’un siècle, la Norvège vivait encore au rythme des saisons, peuplée de paysans, d’églises luthériennes et de fjords gelés... Qui aurait pu penser que ce pays de glaces serait un jour l’un des plus modernes au monde ? Il faut imaginer la Suède et le Danemark aussi, dans les années 1970, paralysés par les grèves et l’impotence d’un Etat sclérosé.

Ou encore la Finlande, libérée du joug russe en 1917 mais plongée, au début des années 1990, dans l’une des crises économiques les plus graves qu’un pays occidental ait connues. Aujourd’hui, le pays est classé en tête des pays les plus compétitifs par les chefs d’entreprise du Forum économique mondial (les mêmes réunis chaque année à Davos) : des délégations d’hommes politiques venues du monde entier, Français en tête, traversent la Baltique pour admirer la vigueur de sa remontée. Tous n’ont plus qu’un mot à la bouche : s’inspirer du « modèle scandinave »... Mais de quoi parle-t-on au juste ?

La rudesse du climat, un goût prononcé pour les têtes couronnées, les alcools forts et le télémark (cette pratique de haute voltige inspirée des premiers skieurs norvégiens) ne sont certes pas les seuls points communs de ces quatre pays nordiques. Le poids de leur Etat providence, du consensus social et la toute-puissance de leurs syndicats comptent aussi parmi leurs « exceptions culturelles », de celles qui inquiètent les économistes. On pourrait y ajouter les bugs de leur système de santé, aux listes d’attente interminables et aux tarifs exorbitants, ou encore le niveau record de leurs impôts... Pourtant, le meilleur est à venir.

Au dernier palmarès du « Bonheur mondial », étude plus que sérieuse menée par l’institut français Globeco, la Suède, la Norvège, la Finlande et le Danemark caracolaient en tête des pays les plus sûrs, les mieux formés, les moins corrompus, les plus égalitaires et les plus agréables à vivre. Mieux : leur santé économique est insolente. Alors que la France et l’Allemagne luttent pour assouplir les critères de Maastricht, le quartette scandinave affiche des comptes publics en excédent, un taux de chômage inférieur à la moyenne européenne et les plus forts taux de croissance des pays de l’OCDE.

L’effondrement des années 1980 « C’est amusant de penser qu’il n’y a pas si longtemps la Suède et la France étaient deux pays à peu près comparables », lance le journaliste indépendant Magnus Falkehed entre deux bouchées de gâteau Ladurée. L’auteur du Modèle suédois, paru l’année dernière (Payot), ne le sait que trop : les réformes menées depuis dix ans dans les pays scandinaves, le sien en tête, ont largement changé la donne.

Non seulement ces contrées n’ont pas renoncé aux principes qui ont fait leur réputation - ce subtil cocktail de libéralisme maîtrisé et d’Etat providence cité pour la première fois à Yale, en 1936, par un universitaire américain, Marquis Child, et plébiscité par l’ensemble des scandinaves... Mais la crise violente du début des années 1990 leur a légué un nouveau, et redoutable, leitmotiv : l’efficacité publique.

Longtemps sous-développés - leur révolution industrielle ne date que du début du XXe siècle - les pays scandinaves ont impressionné le monde entier par la rapidité de leur rattrapage économique et la générosité de leur système social. Dans les années 1980, la dérégulation effrénée des marchés bancaires et les chocs pétroliers leur seront fatals : après plusieurs décennies de croissance ininterrompues, la Suède voit son produit intérieur brut reculer trois années de suite.

En l’espace de deux ans, le nombre de ses citoyens au chômage quadruple, les faillites se multiplient et les taux d’intérêt atteignent des sommets. Même scénario au Danemark, pays dont les déficits publics menacent un temps de faire imploser le système. En Finlande, sous la violence de la crise, l’économie touche le fond en moins d’un an : entre 1990 et 1991, son PIB chute de plus de 7%. Il perdra 12% avant 1995.

La machine publique allégée Dans cette période tumultueuse, seule la Norvège échappera à la récession, et pour cause... Les gisements de pétrole et de gaz naturel découverts à la fin des années 1960 l’ont mise à l’abri du besoin pour un moment. Mais pour les autres pays scandinaves, une dure réalité s’impose : entre l’Etat et la providence, il faut choisir. « Il n’a jamais été question de renoncer à notre modèle social, précise aussitôt l’économiste Joakim Palme, directeur de l’Institut d’études prospectives de Stockholm et conseiller du dernier gouvernement suédois.

Les réformes ont été pensées dans un seul but : sauver l’essentiel. » C’est ce que l’on appelle le pragmatisme scandinave. Certains y verront l’héritage des enseignements luthériens, d’autres les traces, plus lointaines, d’une tradition viking... On ne survit pas dans le Grand Nord sans un certain sens de l’adaptation. Une chose est sûre : devant l’adversité, ces Etats ont en commun la volonté d’agir, et d’abord sur eux-mêmes. Et ce quelle que soit leur tendance politique.

Première étape de leur plan d’action : alléger la machine publique. A l’époque, l’entreprise n’est pas mince... Dès la fin des années 1980, les gouvernements sociaux-démocrates scandinaves tailleront à grands coups dans les effectifs. En dix ans, le nombre de fonctionnaires d’Etat suédois chute de plus de 45%. En Finlande, la baisse est de 35% sur la même période.

Mais ce n’est pas tout. Déjà bien amorcée en Finlande, au Danemark et en Norvège, la décentralisation s’accélère dans ces trois pays. Traditionnellement hypercentralisée, la Suède suit le mouvement : comme ses voisins, elle confie aux régions et aux communes ses dépenses de santé, de culture, de police et d’éducation, mais aussi la collecte et le bénéfice de près d’un tiers de l’impôt sur le revenu. Le transfert de compétences est « acté ».

Suivra la division des tâches. Par souci d’efficacité, toujours, les Etats scandinaves - dont trois (la Norvège, la Finlande et le Danemark) sont maintenant dirigés par des gouvernements conservateurs ! - décident de se concentrer sur le cœur de leur mission. Toute la partie « opérationnelle » - comptabilité publique, gestion du personnel, des achats, etc. - est confiée à des structures ad hoc : c’est la naissance des agences, organismes publics de droit privé, véritables entreprises au service des administrés. Elles concentrent aujourd’hui l’essentiel des effectifs publics. Mais, surtout, leur souplesse est totale : contrats temporaires, primes de résultats, salaires individuels, évaluations permanentes, leurs employés ont toutes les caractéristiques des salariés du privé.

Ce n’est qu’un début. Non contents d’avoir assoupli le fonctionnement de leur Etat, les élus scandinaves s’attaquent très tôt à son patrimoine. Après le dégraissage, le nettoyage. Pour cela, nul besoin d’attendre le feu vert et moins encore les injonctions de la Communauté européenne : dans ces pays, la déréglementation des marchés publics fut décidée dès le début des années 1990. Pour le téléphone, les succès du finlandais Nokia et du suédois Ericsson parlent d’eux-mêmes : la dérégulation a clairement servi les consommateurs.

Même constat pour les services postaux, confiés désormais en partie à des entreprises privées. Adieu, les attentes infinies aux heures de fermeture des guichets. En Suède, les colis sont accessibles vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, fériés inclus. Et pour cause : les paquets sont livrés dans les stations-service, les commerces et les galeries marchandes. Les entreprises, elles, profitent de la baisse généralisée des tarifs. Une aubaine.

Consensus sur la réforme des retraites Dans les transports, la privatisation est partielle. Les Etats scandinaves coordonnent toujours la gestion des réseaux ferrés, routiers ou encore maritimes, mais sous-traitent, en partie, leur exploitation à des partenaires privés. C’est ainsi que des gares, des trains, des lignes de métro, des ferrys ou encore des lignes ferroviaires sont aujourd’hui entièrement gérés par des entreprises de services.

Parmi elles, les groupes français Connex, filiale de Veolia Environnement, et Keolis. Mais aussi Ikea, propriétaire, depuis 2002, de sa propre société de fret en Suède. Certaines administrations vont même très loin, raconte le journaliste Magnus Falkehed : c’est ainsi qu’à Stockholm l’équivalent de notre RATP a décidé de mettre ses propres filiales en concurrence avec le privé... « pour gagner en efficacité ». On aura tout vu.

Dernier volet de ces réformes modèles, et non des moindres : l’optimisation des politiques sociales. En Finlande et en Suède, la réforme des retraites devient une priorité nationale dès le milieu des années 1990. Dans ces deux pays, la solution diffère mais aboutira, dans le consensus quasi général, à une privatisation partielle du régime - désormais, une partie des cotisations est investie sur les marchés boursiers.

A la même période, les dépenses de santé dérapent. Les élus scandinaves, conscients de toucher là l’épine dorsale de leur fameux modèle social, annoncent pourtant très vite la couleur : les patients devront payer de leur poche une part de la facture pharmaceutique, hospitalière et médicale, soit de 150 à 300 € par an selon les pays. La mesure ne permettra certes pas de palier le sous-effectif chronique de personnel médical - il faut toujours compter entre deux et six mois d’attente avant de décrocher un rendez-vous avec un spécialiste.

Elle aura en tout cas permis une chose : éviter la faillite du système ! « Les Nordiques n’auraient pas idée de bloquer une réforme jugée indispensable, observe Jean-Jacques Subrenat, ambassadeur de France en Finlande. Les gens n’attendent pas tout de leur Etat, ils sont même prêts à lui donner beaucoup tant que leur argent est bien utilisé... » Il faut remarquer que ledit Etat le leur rend bien. Dès les années 1980, les fonctionnaires sont, eux aussi, priés de s’adapter : salaires au mérite, entretiens d’évaluation, formation continue renforcée, contrats temporaires.

En quelques années, la fonction publique scandinave, réputée pourtant pour être l’une des plus sclérosées au monde, se calque sur le modèle du privé. Dans les administrations, la priorité est donnée au « client » : toutes les informations utiles doivent être disponibles sur Internet ; le temps d’attente au téléphone est limité au minimum. La qualité des services publics est évaluée chaque année, mais aussi celle de ses agents. Toute entorse au principe de qualité peut être sanctionné... par un licenciement.

On le sait, le monde merveilleux du « libéralisme social-démocrate » a aussi ses effets secondaires. La déréglementation du marché de l’énergie n’est pas sans bug : non seulement les baisses de prix escomptées ne se sont pas manifestées, mais aussi la multiplication des opérateurs complique sérieusement le choix et la vie des usagers. Sans compter les craintes de dysfonctionnements liées à la complexité du système. Dans des pays où la chaleur et la lumière sont deux denrées vitales plus de six mois sur douze, l’enjeu est crucial...

De même, l’ouverture des transports publics au privé inquiète les usagers : qui prendra en charge les frais d’entretien des voies et des routes les moins rentables ? Qui paiera les investissements nécessaires à la modernisation des réseaux ? Le risque de voir les banques se saisir du problème le temps venu fait redouter le pire... « Mais la force de notre modèle est de savoir évoluer en permanence », assure l’économiste suédois Joakim Palme. Au ministère de la Réforme de l’Etat, à Paris, le secrétaire d’Etat Eric Woerth opine, visiblement envieux.

En un siècle de croissance et de crises, les froids pays du Nord ont su prouver leur solidité. Mieux : ils sont les seuls à faire rimer compétitivité économique et protection sociale. Leur modèle peut-il s’exporter en France ? En l’espace de trois ans, pas moins de neuf ministres ont scruté l’expérience scandinave. Parmi eux Jean-Pierre Raffarin, Claudie Haigneré (Recherche), Michèle Alliot-Marie (Défense), Nicole Ameline (Parité et Egalité professionnelle) ou encore François Fillon (Education). Et le rythme des visites s’accélère.

Le 11 novembre prochain, Eric Woerth sera en Suède pour s’inspirer des dernières innovations de son administration électronique. Un mois plus tôt, Gérard Larcher, ministre délégué aux Relations du Travail, partait pour Copenhague en émissaire pour le ministère de l’Emploi. Leur objectif : observer le suivi des chômeurs danois. La suite dira ce qu’ils ont retenu du voyage.

Post-scriptum :

Au Danemark, en dix ans, le taux de chômage a été divisé par deux. 1 salarié sur 3 change d’emploi chaque année et 1 sur 4 passe par la case chômage, où il reste en moyenne moins de cinq mois.

L’Express du 25/10/2004

Les modèles Scandinaves, suite...



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