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Loi de compétence universelleBelgique : Questions et Réponses sur la loi de Compétence Universelle
Source : HRW .Le 14 juillet 2003 Le 30 janvier 2003, le Sénat belge a adopté des propositions de loi interprétant et modifiant la loi de 1993, dite de " compétence universelle ". Ces propositions vont maintenant être examinées par la Chambre des représentants. Quel est le champ d’application de la loi de compétence universelle ? La Loi du 16 juin 1993, modifiée en 1999, relative à la répression des violations graves du droit international humanitaire, dite de " compétence universelle ", donne compétence aux juridictions belges pour poursuivre les auteurs présumés de génocide, de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre, indépendamment de la nationalité des auteurs et des victimes, et indépendamment du lieu de perpétration des crimes. Quel est le fondement légal de cette loi ? La loi belge met en pratique le principe de la compétence universelle, principe de droit international qui dispose que chaque État a un intérêt à traduire en justice les auteurs de crimes spécifiques de droit international, indépendamment du lieu de perpétration de ces crimes et indépendamment de la nationalité des auteurs ou des victimes. Le droit international consacre la compétence universelle pour éviter que les responsables des crimes les plus abominables puissent trouver refuge à l’étranger et échapper ainsi à la justice. Pourquoi cette loi est-elle importante ? Des poursuites basées sur la compétence universelle constituent un élément essentiel d’une justice internationale émergente. Elles contribuent à détruire les murs d’impunité derrière lesquels s’abritent les tyrans et autres tortionnaires dans leurs pays d’origine. Qui peut engager des poursuites en application de la loi belge de compétence universelle ? Le procureur a le pouvoir de déclencher les poursuites pénales. Une victime elle-même peut également déposer directement une plainte avec constitution de partie civile auprès d’un juge d’instruction. Quels sont les autres pays qui ont des lois de compétence universelle ? La Convention des Nations Unies du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ratifiée par 132 pays, oblige les États membres à poursuivre - ou à extrader afin de permettre la poursuite par un autre État - les personnes qui se trouvent sur leur territoire et qui sont accusés d’actes de torture, indépendamment du lieu où les tortures ont été commises. De la même façon, les Conventions de Genève, ratifiées par la plupart des pays du monde, disposent que les États membres ont l’obligation de rechercher toute personne soupçonnée d’avoir commis de graves violations de ces Conventions de Genève (c’est à dire des crimes de guerre) et de les traduire devant leur propre justice, et ce, quelle que soit la nationalité des auteurs de ces crimes de guerre. Une étude approfondie d’Amnesty International révèle que la majorité des États se sont dotés de lois de compétence universelle pour certains crimes au moins. " Universal jurisdiction : The duty of states to enact and implement legislation," (AI Index : IOR 53/010/2001, http://web.amnesty.org). Outre la compétence universelle, de nombreux pays, comme la France, donnent compétence à leurs juridictions pour instruire et même juger des crimes commis à l’étranger contre l’un de leurs ressortissants. C’est ce qu’on appelle la " compétence personnelle passive". Les tribunaux sont alors compétents en application de ce principe, que l’auteur du crime se trouve ou non dans le pays qui poursuit. La Belgique est-elle le seul pays ou l’on peut déclencher des poursuites sans qu’aucun critère de rattachement avec le pays qui poursuit ne soit exigé ? Théoriquement non. Mais, jusqu’à très récemment, la Belgique était l’un des rares pays au monde (avec l’Espagne notamment) à avoir engagé, en pratique, des poursuites pour des crimes graves de Droit International commis à l’étranger, sans que l’un des ses ressortissants ne soit victime, ni que l’auteur du crime ne soit présent dans l’État poursuivant. Au cours des deux dernières années, cependant, de nombreux pays, tels que l’Australie, l’Allemagne, la Nouvelle Zélande et l’Afrique du Sud ont ratifié le traité instaurant la Cour Pénale Internationale et modifié leur législation en conséquence, permettant l’ouverture d’informations judiciaires pour des crimes graves de Droit International sans qu’aucun critère de rattachement avec le pays ne soit exigé. Quelles affaires ont-elles déjà été jugées en application de la loi belge de compétence universelle ? Jusqu’à présent un seul procès a eu lieu. Celui-ci concernait quatre rwandais qui ont été condamnés par un jury belge en juin 2001 pour leur participation dans le génocide qui a ensanglanté leur pays. La plupart des observateurs ont considéré ce procès comme exemplaire. Y-a-t-il eu d’autres poursuites récemment, en dehors de la Belgique, basées sur la compétence universelle ? Après les génocides dans l’ex-Yougoslavie et au Rwanda, plusieurs pays européens, dont l’Allemagne, l’Autriche, le Danemark, les Pays-Bas et la Suisse ont traduit devant leurs propres tribunaux certains responsables en application justement du principe de compétence universelle. Très récemment, un procureur danois a, le 19 novembre 2002, commencé des investigations contre Nizar al-Khazraji, l’ancien Chef d’état-major des forces armées irakiennes pour son implication dans des crimes de guerre perpétrés en Irak contre des civils kurdes pendant la guerre Iran-Irak (1980-1988). L’exemple classique d’une mise en oeuvre de la compétence universelle est celui de l’inculpation du Général Augusto Pinochet du Chili par un juge espagnol. L’Espagne a porté plainte contre Pinochet pour des crimes commis principalement au Chili et principalement contre des chiliens. L’Espagne a ensuite essayé d’obtenir son extradition de Grande Bretagne pour être jugé en Espagne. (La Belgique a également inculpé Pinochet et demandé son extradition, tout comme la France et la Suisse d’ailleurs). Quelles sont les personnes poursuivies en application de la loi belge de compétence universelle ? Des plaintes ont été déposées en Belgique contre le président mauritanien Maaouya ould Sid’Ahmed Taya, le président irakien Saddam Hussein, le premier ministre israélien Ariel Sharon, le président de Côte d’Ivoire Laurent Gbagbo, le président rwandais Paul Kagame, le président cubain Fidel Castro, le président de la République Centrafricaine Ange Félix Patassé, le président de la République du Congo Denis Sassou Nguesso, le président de l’Autorité Palestinienne Yasser Arafat, l’ancien président tchadien Hissène Habré, l’ancien président chilien le général Augusto Pinochet, l’ancien président iranien Hashemi Rafsanjani, l’ancien ministre de l’intérieur du Maroc Driss Basri, l’ancien ministre des affaires étrangères de la République Démocratique du Congo Abdoulaye Yerodia Ndombasi, entre autres. Les plaintes déposées contre Laurent Gbagbo ont finalement été retirées. Cependant, les procédures ouvertes contre de hauts responsables politiques en activité risquent de ne pouvoir être continuées en raison de récentes décisions jurisprudentielles sur l’immunité. Pourquoi y a-t-il eu autant de plaintes déposées en Belgique ? Les principales raisons sont (1) la possibilité pour les victimes, elles-mêmes, de déposer des plaintes directement, (2) l’absence expresse d’immunité attachée à la qualité officielle d’une personne et (3) la non-exigence de critères de rattachement spécifiques avec la Belgique. Tous ces points ont été abordés dans les modifications adoptées par le Sénat belge. Pourquoi des modifications à la loi de compétence universelle ont-elles étés adoptées par le Sénat et sont en discussion devant la Chambre ? Les modifications ont pour objectif de prendre en considération trois développements récents. En premier lieu, les modifications visent à mettre la loi belge en conformité avec le statut de Rome qui a institué la Cour Pénale Internationale (CPI) et que la Belgique a ratifié. Les modifications vont faciliter la coopération entre la justice belge et la CPI et adaptent les définitions belges des crimes de Droit International avec ceux du statut. En deuxième lieu, les modifications définissent les nouvelles conditions sous lesquelles les juridictions belges seront compétentes pour recevoir une plainte même dans le cas où l’auteur présumé ne se trouverait pas sur le territoire belge. En 1993 et en 1999, le parlement belge avait eu clairement l’intention de rendre les juridictions belges compétentes, même dans les cas où l’auteur présumé d’un crime grave de Droit International se trouverait hors de la Belgique. Cependant, citant précisément la lettre de la loi, trois décisions successives rendues par la Chambre des mises en accusation de la Cour d’Appel de Bruxelles au printemps 2002, notamment dans l’affaire Ariel Sharon, déclaraient l’irrecevabilité des poursuites au motif que les auteurs présumés ne pouvaient pas être trouvés sur le territoire belge au moment du dépôt des plaintes. Les modifications précisent que les victimes ne pourront directement déposer des plaintes en Belgique pour des crimes commis après le 1er juillet 2002 que s’il existe des critères de rattachement avec la Belgique, c’est à dire si les crimes ont été commis sur le territoire belge, ou si l’auteur présumé est belge, ou si l’auteur présumé se trouve sur le territoire belge, ou si la victime est belge ou réside en Belgique depuis plus d’un an. S’il n’y a pas de lien avec la Belgique, c’est à dire si aucun critère de rattachement n’existe, les victimes devront s’adresser au procureur qui seul aura le pouvoir de déclencher les poursuites s’il trouve les plaintes fondées. Les victimes auront le droit de faire appel d’une décision de refus de poursuivre prise par le procureur. En troisième lieu, les modifications harmonisent le droit belge des immunités avec le droit international. La loi belge actuelle dispose très clairement que " l’immunité attachée à la qualité officielle d’une personne n’empêche pas l’application " de la loi de compétence universelle. En février 2002, la Cour Internationale de Justice a décidé que la Belgique ne pouvait cependant pas délivrer un mandat d’arrêt international à l’encontre du ministre des affaires étrangères de la République Démocratique du Congo. D’après la Cour, le Droit International coutumier précise que les ministres des affaires étrangères aussi bien que les premiers ministres et les Chefs d’État en exercice bénéficient d’une " immunité de juridiction " qui les protègent contre une arrestation ordonnée par les tribunaux d’un autre pays. Les modifications apportées à la loi de 1993 disposent que la loi de compétence universelle s’appliquera, en ce qui concerne les immunités, " dans les limites établies par le Droit International. " De plus, les modifications incluent, comme le permet l’article 84 de la Constitution belge, une "loi interprétative" qui reflète très clairement l’intention du législateur en 1993, à savoir la possibilité d’engager des poursuites en Belgique même en l’absence de l’auteur présumé de crimes graves de Droit International. Cette "loi interprétative" annulera les effets des décisions de la Cour d’appel de Bruxelles qui avaient décidé que les juridictions belges n’étaient pas compétentes pour ouvrir une instruction contre des auteurs présumés de crimes graves de Droit International au motif que ces auteurs n’étaient pas présents sur le territoire belge. Cette loi interprétative est très importante pour les plaintes qui ont déjà été déposées dans la mesure où elle permettra de préserver tous les actes d’instruction déjà effectués, notamment les commissions rogatoires internationales exécutées, essentiellement dans les affaires Rwanda et Hissène Habré. Que signifient ces modifications pour l’affaire concernant Ariel Sharon ? La "loi interprétative" annulera donc les effets de la décision de la Cour d’appel de Bruxelles qui avait décidé, en application de la loi de 1993, que les juridictions belges n’étaient pas compétentes pour ouvrir une instruction contre Ariel Sharon et d’autres responsables politiques israéliens au motif qu’ils n’étaient pas présents sur le territoire belge. Cependant, en qualité de premier ministre en exercice, Ariel Sharon pourra toujours bénéficier de l’immunité de juridiction telle que prévue par la Cour Internationale de Justice. En outre, la Cour de Cassation de Belgique va examiner le 12 février 2003 le pourvoi contre la décision de la Cour d’Appel qui avait déclaré les juridictions belges incompétentes dans cette affaire. Ce pourvoi sera examiné en application de la loi de 1993 de compétence universelle dans sa version actuelle, c’est à dire avant les modifications éventuelles. Quelles sont les affaires qui vont pouvoir continuer si les modifications sont finalement adoptées par la Chambre des représentants ? Le cas contre l’ex-dictateur tchadien Hissène Habré sera sans doute l’un des tout premiers puisque un juge d’instruction belge, un procureur et une équipe d’officiers de police judiciaire ont déjà visité le Tchad l’année dernière pour enquêter sur les plaintes déposées contre lui. Habré vit en exil au Sénégal où il avait été inculpé de complicité de crimes contre l’humanité, d’actes de torture et de barbarie, il y a deux ans, avant que la justice sénégalaise ne se déclare incompétente pour le juger. Le président du Sénégal a accepté de garder Hissène Habré sur le sol sénégalais le temps que la Belgique en demande l’extradition. De plus, le gouvernement tchadien a formellement levé l’immunité de son ex-président et en a averti officiellement le juge belge en charge de son dossier. Des informations complémentaires sur cette affaire peuvent être trouvées à l’adresse suivante : http://www.hrw.org/french/themes/ha... La loi belge de compétence universelle est-elle toujours nécessaire depuis la création de la Cour Pénale Internationale (CPI) ? La création d’une Cour Pénale Internationale permanente représente l’un des événements les plus marquants dans la lutte globale contre l’impunité. La CPI sera compétente pour connaître des cas de génocide, de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre lorsque les cours nationales refuseront de juger ces crimes ou seront dans l’incapacité de le faire. Alors que la CPI constitue un instrument puissant pour combattre les pires crimes et atrocités, elle n’éliminera pas le besoin et la nécessité de poursuites transnationales fondées sur la compétence universelle contre les responsables de ces crimes. D’une part, la compétence de la CPI sera non rétroactive, c’est-à-dire qu’elle ne pourra juger que les crimes commis après l’entrée en vigueur de son statut, soit le 1er juillet 2002. D’autre part, la CPI ne pourra matériellement s’occuper que d’un nombre limité de cas. Enfin, son régime juridictionnel exige qu’en l’absence d’un renvoi par le Conseil de Sécurité des Nations Unies, la CPI ne sera compétente que (1) pour des crimes commis par les ressortissants des États parties ou (2) pour des crimes commis sur le territoire des États parties ou qui ont accepté la compétence de la Cour. En pratique, l’État d’origine des auteurs des crimes et l’État sur le territoire duquel seront commis les crimes sera très souvent le même. Cet État n’étant pas forcément partie au Statut, beaucoup des graves crimes de Droit International perpétrés dans le futur seront commis en dehors de la compétence de la Cour. Human Rights Watch
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