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Afrique de l’Est : la crise qui aurait pu être évitéeSource : Oxfam 28 Juillet, 2011 Rosebell Kagumire est une journaliste ougandaise spécialiste des questions relatives à la paix et aux conflits en Afrique de l’Est. Nous avons proposé à Rosebell de s’exprimer sur le blog d’Oxfam pour expliquer comment les gouvernements africains doivent, selon elle, jouer un rôle vital pour prévenir les futures famines. Les opinions exprimées ici sont celles de l’auteure et ne reflètent pas forcément les politiques d’Oxfam. En début de semaine, mardi [26 juillet], le quotidien ougandais Daily Monitor signalait la mort de deux personnes dans le district de Bulambuli, à l’est de l’Ouganda. Selon les pouvoirs locaux, elles étaient mortes de faim. Et toujours selon la même source, de nouveaux décès risquaient de survenir. En désespoir de cause, le dirigeant local plaidait : "la faim est en train de nous tuer, nous prions le gouvernement de venir à notre secours, nos enfants ont abandonné l’école et ne peuvent pas y retourner parce qu’il n’y a rien à manger." Depuis avril, la sécheresse sévit dans ce district, comme dans beaucoup d’autres. Et bien que l’Est de l’Ouganda ne figure sur aucune carte des régions touchées par la sécheresse que j’ai vues, celles que les organisations humanitaires utilisent pour faciliter leur intervention face à la crise alimentaire actuelle, le problème de l’insécurité alimentaire y est bien présent, tout comme l’échec des gouvernements est-africains à mettre en place des mesures pour empêcher la mort et la dévastation est patent. Oxfam a qualifié la crise alimentaire qui sévit en Afrique de l’Est comme étant la pire du XXIe siècle. A travers l’Éthiopie, la Somalie et le Kenya, 12 millions d’individus manquent cruellement de nourriture, d’eau et d’installations sanitaires de base. L’ONU a déclaré l’état de famine dans le Sud de la Somalie. Près de la moitié de la population somalienne est d’ores et déjà touchée par la crise, soit 2,8 millions de personnes selon les estimations. L’attention a principalement porté sur les besoins humanitaires des personnes les plus touchées. L’ONU estime qu’un milliard de dollars supplémentaires sont nécessaires pour satisfaire les besoins immédiats et que seuls 200 millions de dollars ont à ce jour été apportés. Toutefois, le débat ne peut pas porter uniquement sur la satisfaction des besoins immédiats. Cette crise avait été annoncée. Les gouvernements et la communauté internationale ont eu suffisamment de temps pour intervenir et s’ils l’avaient fait, aujourd’hui, nous ne verrions pas ces images d’enfants aux côtes saillantes dans le camp de réfugiés de Dadaab. J’ai lu des commentaires qui critiquaient âprement la communauté internationale pour la lenteur de sa réponse face à la crise mais je n’ai pas vu beaucoup de questions adressées aux gouvernements africains, sauf au Kenya, pour l’ouverture d’un nouveau camp de réfugiés somaliens. L’Union africaine a fait un discours devant le Comité de son Fonds spécial d’assistance d’urgence pour la lutte contre la sécheresse et la famine en Afrique (SEAF) et octroyé un don de 300 000 dollars à l’UNHCR, l’agence des Nations unies pour les réfugiés, pour aider les Somaliens victimes de la sécheresse. Ce discours précisait également que le Fonds souffrait actuellement de l’épuisement de ses ressources car les gouvernements ne l’ont pas réapprovisionné. Dans un communiqué, Oxfam a expliqué le problème de la sécheresse en Afrique de l’Est : "Si la sécheresse sévère (...) est bien la cause de l’ampleur unique de cette crise humanitaire, l’inaction politique contribue à la crise tout autant que la nature. (...) Les zones les plus touchées ont subi des décennies de marginalisation et de sous-développement économique. La situation serait aujourd’hui différente, ils seraient nombreux à ne pas souffrir de la famine, si davantage de mesures avaient été prises en amont." La plupart des régions est-africaines en crise sont des zones marginalisées où il faut attendre que la situation soit devenue critique pour qu’une intervention ait lieu. Pour les gouvernements actuels, ces régions sont loin d’être une priorité. Je me suis entretenue avec le journaliste kényan Kassim Mohamed, alors qu’il revenait de Dadaab. Il m’a confié que, pour des raisons politiques, le sort des réfugiés somaliens n’était toujours pas considéré comme une urgence. "Lorsque j’étais à Dadaab, j’ai rencontré une femme qui faisait la queue depuis des heures au poste de sécurité. Elle avait deux enfants, un de 3 ans et un plus jeune accroché à son dos, m’a expliqué Kassim. Celui de trois ans souffrait fortement de malnutrition ; elle a dû décider quel enfant abandonner et elle a choisi celui de 3 ans, puis a pris un raccourci pour se rendre au Kenya afin de sauver le plus jeune." "Pourquoi le Kenya, la plus grande économie d’Afrique de l’Est, n’arrive-t-il pas à nourrir ses habitants ?, m’a demandé Kassim. La vérité, c’est que les politiques menées actuellement font des dégâts. Ceux qui ne sont pas bien représentés aujourd’hui sont aussi ceux dont la survie n’intéressera personne demain, tant qu’ils ne seront pas en train de mourir." Les agriculteurs n’ont bénéficié que d’un appui limité alors que le pays a préféré concentrer ses efforts sur le débat concernant l’importation d’aliments peu coûteux à base d’OGM. En Somalie, au cours des trois premiers mois de 2011, un plus grand nombre de déplacements ont été provoqués par la sécheresse que par les conflits armés. Les organisations humanitaires avaient annoncé que cela se produirait. Début juin, j’ai rencontré Melle Kelly David, directrice du Bureau de la coordination des Affaires humanitaires (BCAH ou OCHA) de l’ONU pour l’Afrique orientale et australe, alors qu’elle discutait des migrations et des déplacements dans cette région à l’occasion de la Conférence Nansen sur le changement climatique et les déplacements de population, organisée à Oslo. Elle affirmait que "les liens entre les secours d’urgence, la réduction des risques de catastrophes, la réhabilitation et le développement sont trop fragiles et ténus". Elle soulignait également que le gouvernement du Mozambique avait demandé, en 2006, 3,4 millions de dollars pour se préparer aux inondations sans rien obtenir, mais que la communauté internationale avait ensuite déboursé 98 millions de dollars ultérieurement, une fois que les inondations avaient tout dévasté sur leur passage. Les gouvernements est-africains doivent agir différemment en se dotant de politiques qui peuvent changer l’approche de l’agriculture afin de garantir la sécurité alimentaire. Toutefois, la communauté internationale doit également appuyer des initiatives visant à réduire les risques de catastrophes, et non pas attendre de se trouver face à des situations de vie ou de mort. Face à cette sécheresse, les agriculteurs d’Afrique de l’Est ne peuvent pas uniquement se tourner vers leurs gouvernements : le changement climatique a des conséquences au niveau mondial et les pays donateurs, qui sont aussi les principaux producteurs de gaz à effet de serre, doivent aussi payer.
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